31 mai 2009

 

Notes critiques sur le coopŽratisme

 

La critique du politique doit toujours porter sur le rŽel, que l'on parle de coopŽratisme ou de socialisme, tout comme d'ailleurs la thŽorie qui est une analyse de la rŽalitŽ pour en dŽgager les lois, les tendances et les contradictions.  Autant on doit critiquer le coopŽratisme rŽellement existant, autant on doit le faire pour le socialisme rŽellement existant, par exemple Cuba, la Russie et les partis staliniens.  Pour tre plus prŽcis, la thŽorie sociale est une critique de l'histoire du dŽveloppement des luttes sociales, fondamentalement celles des classes modulŽes par celles des nations et des genres.  C'est lˆ la mŽthode marxiste.

 

Socialisme, coopŽratisme, syndicalisme et parti sont des rŽalitŽs dont la pratique (et la thŽorie) ont atteints leur maturitŽ dans la seconde moitiŽ du XIX sicle parce que c'est justement alors que le capitalisme est devenu dominant comme mode de production mondial.  Le socialisme s'est dŽgagŽ comme projet de mode de production alternatif au capitalisme, le syndicalisme (et la grve) comme mode d'organisation principale de la lutte sociale, en particulier Žconomique, le parti comme mode d'organisation de la lutte politique et le coopŽratisme comme mode d'organisation de la lutte des petits producteurs (agriculteurs, artisans) et petits commerants ˆ la fois contre leur prolŽtarisation et contre la grande entreprise alors Žmergeante.  Comme au XIX sicle, les petits producteurs et petits commerants Žtaient relativement trs nombreux, le coopŽratisme y prit une relative grande place. 

 

Le dŽveloppement de ce Ç paradigme È au XX sicle en modifia les rapports rŽciproques comme il en rŽvŽla les faiblesses.  Le socialisme se prit au pige du bureaucratisme (stalinisme et social-dŽmocratie) aprs que celui-ci eut gangrenŽ l'ƒtat devenu tentaculaire mais aussi l'entreprise privŽe dominŽe par des transnationales lestŽes de lourds appareils bureaucratiques (Kafka).  Le syndicalisme se prit au pige de la collaboration de classe appelŽe au QuŽbec Ç concertation È le livrant au chantage de la loi de compŽtitivitŽ des entreprises et donc des concessions en n'en plus finir en temps de crise (ex. le secteur automobile).  Le parti, abandonnant la prŽparation de la rŽvolution, se prit au pige du rŽformisme jusqu'ˆ ce que le nŽolibŽralisme l'accule au Ç rŽformisme sans rŽformes È ou avec attŽnuation des contre-rŽformes. 

 

Le coopŽratisme du XX sicle a continuŽ ˆ organiser les petits producteurs tout en sĠŽtendant aux prolŽtaires mais surtout comme consommateurs, Žpargnants et locataires/propriŽtaires. 

 

ÒPromotion of cooperativesÓ, International Labour Organization, 2000

(Je nĠai pas pu faire de copie-coller pour raison de droit dĠauteur dĠo lĠutilisation dĠextraits photographiŽs et jĠai utilisŽ le texte anglais pour complŽter les parties dŽlibŽrŽment manquantes du texte franais de Google books, dĠo le caractre rŽbarbatif de la prŽsentation de plusieurs extraits)

 

Cependant, un secteur minoritaire du coopŽratisme est composŽ de coopŽrants-travailleurs au sein de coopŽratives de production.  Ë remarquer, cependant, que ceux-ci sont avant tout des travailleurs spŽcialisŽs dont les compŽtences professionnelles les protgent quelque peu des forces du marchŽ.  Ë ce titre, il y a un rapprochement ˆ faire avec les artisans du XIX sicle :

 

Idem

 

CĠest infime, particulirement dans les pays impŽrialistes, la plus grande partie Žtant dans les anciennes Žconomies collectives dites du Ç socialisme rŽel È.  Ce nĠest pas un hasard.  Seul le rejet du capitalisme crŽe les conditions de dŽveloppement de coopŽratives prospres.  Rester fidle aux principes coopŽratifs exige la suppression de la loi de la concurrence imposŽe par le marchŽ capitaliste, ce que le mouvement coopŽratif ne saurait faire.  DĠo, au prorata de leurs succs, les coopŽratives se transforment de facto en entreprises capitalistes ordinaires :

Idem

 

On le voit dans le dŽveloppement rŽcent de Mondrag—n au Pays Basque, la Ç [p]lus grande coopŽrative ouvrire au monde È :

Ç On peut rŽsumer l'Žvolution du groupe en mentionnant quelques indicateurs: En 2002, les exportations reprŽsentent 27% du chiffre d'affaires. La moitiŽ des 60000 personnes qui travaillent pour le groupe sont des employŽs et non pas des socios (travailleurs associŽs de la coopŽrative). La croissance est externe, basŽe sur le rachat d'autres entreprises, plut™t que sur la crŽation de nouvelles entreprises. Il n'y a plus de prioritŽ basque dans la recherche des fournisseurs[1]. È

WikipŽdia franais, Mondrag—n Corporaci—n Cooperativa

 

Cette transnationalisation permet aux travailleurs-coopŽrants, mme sĠils ne peuvent Žviter des baisses de salaire pour eux-mmes, de refiler en grande partie ˆ leurs Ç employŽs È le cožt de la crise :

Ç Comme le remarque Joel Martine, si les socios bŽnŽficient d'un emploi ˆ vie, les coopŽratives ont aussi leurs emplois prŽcaires, les eventuales, travailleurs ˆ contrat dŽterminŽe qui sont un peu des salariŽs de seconde zone, non citoyens dans les coopŽratives[7]. Ce que ne dŽment pas Fernando Gomez-Acedo, prŽsident du conseil de surveillance de Fagor-Brandt [filiale de Mondrag—n Corporaci—n Cooperativa, NDLR] ˆ qui on demande Ç Ce sont probablement les non-coopŽrateurs qui ont le plus de soucis ˆ se faire en cas de restructuration È et qui rŽpond: Ç Effectivement, la loi nous autorise ˆ recruter 25% des salariŽs qui ne sont pas des associŽs; quand il n'y a plus de travail, ils sont les premiers ˆ partir... È [3]..

Ç En 2006, aprs l'acquisition de Brandt [une entreprise franaise dĠŽlectromŽnagers, NDLR], la direction de Fagor-Brandt a annoncŽ la suppression de 360 emplois en France, certains syndicalistes de Brandt sont allŽs distribuer un tract ˆ Mondrag—n pour s'adresser aux 'socios' qui Žtaient par ailleurs leurs actionnaires. Le nombre de suppression d'emploi a ŽtŽ ramenŽ ˆ 100, mais les problmes classiques inhŽrents ˆ la mondialisation du groupe sont devenus rŽcurrents. Fagor devait s'approprier Brandt pour gagner des parts de marchŽ et des avances technologiques, mais dans la division du travail qui s'instaure entre Mondrag—n, la Pologne, la France et le Maroc, les salaires franais sont une charge plus lourdes que les salaires polonais ou marocains. Sur ce point, les coopŽrateurs de MCC appliquent aux filiales Žtrangres le principe qu'ils refusent pour eux-mme, ˆ savoir, la loi dictŽe par des actionnaires extŽrieurs[7]. È

         Idem

 

Il est tout ˆ fait illusoire de souhaiter que les coopŽratives restent petites pour ne pas tre corrompues par le capitalisme.  Comme nĠimporte quelle entreprise capitaliste, elles ont le choix entre

á       la tendance ˆ la transnationalisation, dĠo de bons salaires et conditions de travail pour les travailleurs-coopŽrants qui deviennent de plus en plus un collectif capitaliste sĠen remettant ˆ une gestion spŽcialisŽe dotŽe de salaires Ç compŽtitifs È,

á       ou celle de la marginalisation, quand ce nĠest pas la faillite, dĠo les salaires et conditions de travail de crve-faim de lĠŽconomie socialeÉ sauf pour les petits gŽrants. 

 

La nouvelle popularitŽ des coopŽratives de toutes sortes sĠexplique par le dŽveloppement de la stagnation Žconomique depuis le milieu des annŽes 70.  Il faut cependant distinguer deux cas types qui, cependant, se recoupent probablement largement :

 

  1. Les coops de lĠŽconomie sociale proprement dite :

ÒPromotion of cooperativesÓ, International Labour Organization, 2000

 

  1. Un moyen de dŽfense pour lĠemploi :

Idem

 

Si on peut sympathiser avec un groupe de travailleurs cherchant ˆ sauver leur emploi en sĠorganisant en coopŽratives de production, on ne peut que constater le cul-de-sac de cette solution et mme son caractre conservateur si lĠon remarque lĠorigine religieuse/nationaliste du coopŽratisme quŽbŽcois et basque, ce qui explique que lĠƒtat les appuie systŽmatiquement :

[É]

[É]

[É]

[É]

dans Ç DiversitŽ et identitŽs au QuŽbec et dans les rŽgions d'Europe È,

Jacques Palard, Alain Gagnon, Bernard Gagnon, Presses UniversitŽ Laval, 2006

 

 

LĠillusion dĠun socialisme se dŽveloppant dans les interstices du capitalisme

 

Plusieurs analystes pensent que le dŽveloppement du coopŽratisme, comme principale forme de production de lĠŽconomie sociale, est lĠapparition du mode de production socialiste dans les interstices du capitalisme.  On vient de voir que le coopŽratisme est plut™t une mŽthode de division et dĠintŽgration du prolŽtariat dans le capitalisme. 

 

Ces auteurs font un faux parallle entre la transformation du fŽodalisme en capitalisme et celle du capitalisme en socialisme.  La premire transformation, mme si elle a nŽcessitŽ une rŽvolution, nĠest quand mme que la substitution dĠune classe dirigeante par une autre, ce qui rend possible la collusion de ces classes, malgrŽ leurs contradictions, contre les classes dominŽes.  LĠƒtat absolutiste (ex. Louis XIV en France, ƒlizabeth I en Angleterre) Žtait dĠailleurs un ƒtat fŽodal sĠappuyant ˆ la fois sur la noblesse dominante et le capitalisme marchand dominŽ.  Au XIX sicle en Europe, on a vu Žmerger lĠAllemagne impŽriale o lĠempereur sĠappuyait sur un capitalisme industriel dominant et des Ç junkers È semi-fŽodaux (grands propriŽtaires fonciers) encadrant lĠarmŽe.

 

La seule classe sociale capable de renverser le capitalisme est le prolŽtariat dĠautant plus quĠil est devenu mondialement majoritaire.  Toutefois, la raison fondamentale de cette capacitŽ nĠest pas le nombre mais sa place dans les rapports de production comme essentiel producteur de la richesse.  Cette capacitŽ se traduit-elle en volontŽ ?  LĠhistoire des luttes sociales du XIX et XX sicle, en particulier des tentatives rŽvolutionnaires de 1848 ˆ 1979, le dŽmontre amplement mme si elle relve aussi la complexitŽ de la t‰che qui doit tenir compte des rapports avec le paysannat et les oppressions nationale et de genre. 

 

Peut-on objecter que lĠŽchec des rŽvolutions est dž ˆ lĠapparition dĠune nouvelle classe dominante, la bureaucratie, issue des couches dites aristocratiques du prolŽtariat et de lĠintelligentsia petite-bourgeoise ?  Les contre-rŽvolutions capitalistes en Russie et en Chine, et paralllement le dŽvoiement social-libŽral de la social-dŽmocratie, mme si elles ont permis le dŽcha”nement du Ç pur È capitalisme nŽolibŽral, ont dŽsormais dŽmontrŽ que la bureaucratie nĠŽtait quĠune caste parasitaire et thermidorienne incapable de stabiliser de nouveaux rapports de production de mme que les institutions et lĠidŽologie ˆ lĠavenant.  Rappelons que tant le stalinisme que le mao•sme se sont rŽclamŽs du socialisme, ce avec quoi lĠidŽologie capitaliste Žtait entirement dĠaccord car cela lui permettait de sĠapproprier la lutte pour la dŽmocratie.

 

La rŽvolution capitaliste se prŽpara de longue date par la conqute de positions Žconomiques (et dĠune idŽologie ˆ lĠavenant) avant de sĠachever par la conqute politique du pouvoir.  La rŽvolution socialiste exige au contraire la conqute prŽalable du pouvoir politique (et la destruction de lĠappareil de rŽpression de lĠƒtat bourgeois) avant de pouvoir conquŽrir des positions Žconomiques, en commenant par les hauteurs stratŽgiques de la finance.  Cette bataille pour le contr™le de lĠŽconomie aprs la conqute du pouvoir politique signifie une transition qui peut tre relativement longue et qui ne sera pas sans rŽactions contre-rŽvolutionnaires que seul lĠapprofondissement de la dŽmocratie permettra de vaincre. 

 

Avancer la formation de coopŽratives de travailleurs comme solution aux fermetures de lieux de travail et aux congŽdiement massifs comme le fait la direction de QuŽbec solidaire dans le Manifeste du premier mai nĠest pas un pas en avant pour dŽpasser le capitalisme.  CĠest ˆ la fois une capitulation au droit de gŽrance du capital pour rŽgler la crise sur le dos du prolŽtariat et une consolidation du capitalisme ˆ qui on consent un moyen dĠintŽgration et de division du prolŽtariat au capital.

 

Marc Bonhomme, 31 mai 2009