22 mars 2009

Le budget des Libéraux

Une arrogance égale à l’impuissance des oppositions

Tout comme les Libéraux ont remporté les élections sur la base de contrevérités, ils imposent, sans riposte de la rue, un budget mensonger pour lequel les directions syndicales le louangent et contre lequel aucun parti n’oppose une alternative. Ce budget néo-keynésien de droite veut sauver le capitalisme néolibéral pour y revenir en courant après une crise que l’on anticipe brève et sans profondeur. Achetées à coups de coûteuses déductions fiscales pour leur prétendus Fonds de solidarité et Fondaction, les directions de la FTQ et de la CSN s’avilissent en éloges pendant que le PQ joue à la chaise musicale (et que l’ADQ prône un pur laisser-aller). Quant à la direction de Québec solidaire, elle larmoie tout en évitant tout affrontement avec le fédéraliste capital financier, ce qui la condamne à de vagues vœux pieux saupoudrés de quelques atténuantes mesures concrètes.

Quel plan de relance ?

Lors des élections de l’automne 2008, les Libéraux ont effrontément menti à propos de la réduction drastique de la péréquation fédérale, des pertes gargantuesques de la Caisse de dépôt et de placement et du déficit anticipé. Voilà qu’ils récidivent par des mystifications à coups de pronostics de (dé)croissance idylliques pour 2009 et 2010 et de promesses intenables de maintien du niveau actuel des services publics déjà largement inadéquat suite aux épouvantables coupures du duo PQ/Libéraux fédéraux de 1995-1999 jamais corrigées depuis lors. Pour ne pas détériorer davantage puis rétablir à terme l’équilibre budgétaire sans réforme fiscale, on coupera encore plus dès cette année partout sauf dans la santé et l’éducation qui écoperont plus tard.

Les Libéraux y ajoutent une nouvelle dose de soutien aux entreprises de plus d’un milliard $ majoritairement hors budget mettant à contribution la Caisse de dépôt, la SGF, Investissement Québec et, last but not least, le Fond de solidarité de la FTQ financé en grande partie par les rabais d’impôt. (Quant à Fondaction de la CSN, on lui accorde un rabais supplémentaire pour lui permettre d’atteindre une masse critique lui permettant une prétendue efficacité économique. Plus racoleur, tu meurs !) Le PQ aurait plutôt souhaité « réduire les impôts des entreprises pour améliorer leur productivité » (François Legault en entrevue à Radio-Canada). Quand à la direction de Québec solidaire, elle prône le renflouement du capital financier en proposant de verser davantage de cotisations de travailleurs dans le panier percé de la Caisse de dépôt et en empruntant plus aux institutions financières, ces pompiers-pyromanes de la crise, que ne le proposent les Libéraux ou le PQ.

Le PQ est bien embêté de critiquer les régressives hausses, à terme, de la taxe de vente et des tarifs, ce qu’il prône lui-même, en lieu de la hausse drastique de l’imposition des profits, des hauts revenus et de la richesse que personne ne propose, pas même la direction de Québec solidaire ni pour financer ses 20 mesures anti-crise ni dans sa réponse au budget. Rappelons que les dégrèvements en faveur des plus pauvres sont non seulement partiels et humiliants mais surtout sapent politiquement la solidarité propre aux programmes universels gratuits pour tous et toutes. Rappelons aussi que la crise est loin d’avoir fait disparaître profits, revenus élevés et richesse réelle accumulée même si elle a fait disparaître pas mal de richesse virtuelle. Rappelons, finalement, qu’en temps de crise profits et revenus élevés ne sont pas investis mais sont soit épargnés soit consommés en produits de luxe et énergivores.

À un plan de relance créateur d’emplois verts, socialement utiles et équitables pour les femmes, les Libéraux substituent d’anti-écologiques investissements hydroélectriques et autoroutiers d’ailleurs prévus bien avant la crise. Le PQ a beau se plaindre de l’absence d’un plan de relance, il ne propose rien d’autre que davantage d’argent pour l’éducation et pour un chèque aux plus pauvres tout en prétendant rétablir l’équilibre budgétaire à la manière des Libéraux…ce qui signifie implicitement plus de coupures ailleurs.

Quant au plan de relance de la direction de Québec solidaire pour 2009-10, il s’est transformé en pétard mouillé de dépenses supplémentaires de 2.6 milliards $, moitié dépenses courantes moitié investissements, créant 40 000 emplois. Pourtant, depuis juin 2007, juste avant le début de la crise, jusqu’à janvier 2009 inclus, le nombre de sans emploi au Québec s’est accrû de 120 000 si l’on prend en compte la croissance des temps partiels involontaires et celle des travailleuses dite découragées, statistique alternative publiée chaque mois par Statistique Canada mais peu publicisée (taux R8, tableau CANSIM 282-0085). Et la dégringolade continuera de plus belle en 2009 sans compter la nécessité d’une croissance de l’emploi pour absorber les nouveaux arrivants sur le marché du travail.

Affronter le capital financier

Malgré tout, le plan de la direction de Québec solidaire, avec sa construction de 10 000 logis sociaux sur un an, ses investissements en efficacité énergétique dans les bâtiments et les transports publics, son embauche supplémentaire de professeurs et personnel de soutien en éducation et sa bonification du salaire minimum et de l’aide sociale, demeure de loin le plus à gauche. Il y a cependant un hic et il est de taille : le capital financier n’est pas d’accord et il faudra l’affronter, lui et les partis politiques à sa solde, pour leur forcer la main. L’affronter au niveau des revendications et surtout l’affronter dans la rue. On sait en partant qu’on ne pourra pas compter sur les directions de la FTQ et de la CSN qui se sont laissées acheter par des mesures mettant à contribution ou favorisant le petit capital financier sous leur contrôle.

Il suffit d’ailleurs de lire leurs réactions au budget pour s’en convaincre au point que Le Devoir a pu titrer, en tordant à peine le bâton, « Une rare unanimité patronale et syndicale ». Après tout, la présidente de la CSN salut « le budget le plus interventionniste des dernières années » et le président de la FTQ vante le modèle québécois et « l’effort louable » en santé et en éducation. Rien de surprenant que la mobilisation du 1^er mai s’annonce comme uniquement dirigé contre le gouvernement fédéral, particulièrement pour une réforme de l’assurance-emploi. C’est certainement une cible de choix mais ça ne fait pas un plan de relance pour sauver le peuple et non les banques et ça laisse le capital financier et les responsables proprement québécois blancs comme neige.

Pourtant, comme l’ont dit dans la rue des millions de travailleurs et travailleuses françaises ce 19 mars, « La crise c’est eux, la solution c’est nous. » Il faut donc faire payer la crise au capital et rien qu’à lui. Pour y arriver, le Nouveau parti anticapitaliste de France propose un programme d’urgence à la hauteur tout à fait applicable à un Québec indépendant. Par exemple, au niveau strictement économique :

• Interdiction des licenciements, sous peine de réquisition publique, et partage du travail entre tou-te-s sans diminution de salaires ; poursuite de la production sous contrôle des salarié-e-s. Pour les entreprises qui se révèlent réellement en difficulté, le financement sera assuré par un service public bancaire, et assis sur une cotisation spéciale acquittée par l’ensemble des actionnaires. Maintien du salaire en cas de chômage technique financé par le même fonds.

• Augmentation des salaires, retraites et des minima sociaux : 300 euros [500 $CDN] de plus par mois, pas de salaire ni de revenu inférieurs à 1500 euros [2500 $CDN] nets, indexation des salaires sur les prix. Transformation systématique des emplois précaires en emplois stables (dans le privé) ou à statut (dans la fonction publique).

[…]

• les retraites par répartition doivent permettre à chacun-e de bénéficier après une durée maximum de cotisation de 37,5 annuités, à 60 ans maximum (55 ans pour les travaux pénibles), d’une retraite complète correspondant à 75 % du meilleur salaire, et dans tous les cas égale au SMIC [salaire minimum]. […]

• Réduction massive et progressive du temps de travail hebdomadaire à 35 heures, et vers les 32 heures.

• Mise en place d’une allocation pour les jeunes pour étudier et être autonomes.

• Suppression de la TVA sur les produits de première nécessité. Mise en place d’un impôt fortement progressif sur les revenus.

• Arrêt des expulsions des logements ; arrêt des coupures d’eau, de gaz et d’électricité ; réquisition des logements vides ; construction massive de logements sociaux à hauteur des besoins ; gel des loyers ; désenclavement des quartiers par le développement des transports publics.

• Sauvegarde et développement des services publics et arrêt immédiat de la privatisation de la poste et de la santé. Défense du service public d’éducation. Nationalisation de l’industrie pharmaceutique. Fonds publics à l’école publique.

• Crédit gratuit, annulation de leurs dettes pour les travailleurs qui exploitent seuls leurs propres moyens de production, les petits commerçants, artisans, paysans qui sont dans le besoin.

• Annulation des dettes des salariés et chômeurs, en premier lieu victimes du surendettement. […]

• Réquisition des profits et dividendes des actionnaires.

• Annulation de la dette de l’État.

• Nationalisation (dans le sens de socialisation) sans rachat ni indemnité de tous les organismes bancaires, expropriation de leurs actionnaires, unification en un seul service public bancaire (si possible européen) sous le contrôle des travailleurs et de la population qui doivent pouvoir ainsi orienter les investissements en direction de la satisfaction de leurs besoins.

ATTAC-Québec ouvre le débat de l’anticapitalisme québécois

On voit bien que le cœur économique de tout programme de relance c’est le plein emploi à plein temps toute l’année avec un salaire décent, des services publics de qualité et la socialisation du système financier qui doit devenir un service public démocratisé. La seule organisation québécoise crédible qui a commencé à prendre cette direction semble être ATTAC-Québec qui a fait un tournant à 180 degrés par rapport à sa position ultra-modérée de l’automne dernier. Manifestement, l’aggravation de la crise mondiale cet hiver, la fin du mythe de l’exception canadienne et québécoise, la comparaison avec la position d’ATTAC-France y ont provoqué un débat de fond.

En lançant ce débat, on peut dire que qu’ATTAC-Québec joue le rôle que devrait jouer les collectifs marxistes et trotskistes de Québec solidaire qui se refusent à toute critique de sa direction sociale-libérale. ATTAC-Québec propose les mesures économico-financières suivantes :

• Établir un contrôle public des banques et du secteur financier
[…] Il faut établir un contrôle public des banques au moyen de strictes limites de leurs activités, de l’interdiction de spéculer et d’avoir des filiales dans les paradis fiscaux ou ailleurs à l’étranger, et d’un plafond de la rémunération de leurs dirigeants. Mieux encore serait la nationalisation des banques commerciales. [Je souligne ici et plus bas, NDLR] Il y aurait lieu d’éliminer les fonds spéculatifs, qui ne produisent aucune richesse sauf pour leurs managers, et aussi d’éliminer les produits dérivés financiers ….

• Éliminer les retraites par capitalisation boursière
Il faut nationaliser les caisses de retraite et établir un système universel et égalitaire de retraite par répartition. Il faut éliminer les retraites par capitalisation boursière, qui forcent les citoyenNEs à s’intégrer dans l’économie casino et entraînent des pertes considérables à l’occasion des krachs. […]

• Établir une fiscalité équitable
Pour contrer les écarts toujours grandissants entre les riches et les pauvres, il faut mettre en place une fiscalité vraiment progressive, en rajoutant plusieurs paliers d’imposition, touchant les revenus les plus élevés et en haussant ces derniers à des niveaux tenant compte de la gravité de la récession. […]

• Investir massivement dans les services publics et dans les infrastructures
Il est important de mieux financer tous les niveaux d’éducation, de réduire le nombre d’élèves par classe et de combler les déficits des universités. Le système public de santé doit être fortement renforcé, de façon à exclure au maximum le secteur privé, offrir de meilleurs soins, et renforcer la médecine préventive. Il faut relancer les programmes supprimés dans le secteur de la recherche publique, de la culture et augmenter considérablement le budget du Conseil des arts du Canada. Il faut enfin investir dans les transports en commun, l’eau, la rénovation de bâtiments, et la réparation et l’entretien des infrastructures.

• Lutter contre la pauvreté
Il faut assouplir les critères d’accès et hausser les prestations d’assurance-emploi et d’aide sociale. Il faut préserver les emplois lors d’une diminution de personnel par le biais d’une diminution du temps de travail, là où des emplois équivalents perdurent, plutôt que de contraindre ces travailleurs au chômage. Des budgets récurrents doivent être dégagés pour les organismes communautaires. Il est important d’investir de façon significative dans le logement social et l’aide aux sans-abri.

• Protéger l’environnement et lutter contre les changements climatiques
La crise financière ne doit pas servir d’excuse à l’irresponsabilité en matière environnementale et climatique. Il faut saisir l’occasion pour remettre en question les projets mis de l’avant dans un contexte de crises écologiques et mettre de l’avant une démocratisation de la gestion des ressources naturelles. Il faut aussi mettre en œuvre des politiques énergétiques limitant au maximum la dépendance aux énergies fossiles et ainsi bannir l’implantation de ports méthaniers, comme celui de Rabaska. Plusieurs investissements, notamment dans les projets d’énergie renouvelables, permettraient de créer de l’emploi et de fournir de l’énergie à un coût équitable. Il est enfin impératif de financer la mise à jour des normes environnementales et d’en assurer la mise en application.

Un plan de relance écologique

Il va sans dire que la mobilisation de l’entièreté de la force de travail sous la houlette d’un service public démocratisé détenant la totalité du contrôle du flux des épargnes et des investissements de la nation se fera dans le sens d’un développement écologique qui pourrait avoir l’allure suivante :

Implanter sur cinq ans, pour être achevé en 2020, un programme obligatoire d’infrastructures écologiques de 100 G$ complété par des interdictions des principales sources de gaz à effet de serre sans bouleverser l’écosystème de nos rivières :

1. Interdire au moins dans les grandes villes et leurs banlieues l’usage de l’automobile individuelle d’ici 2020, soit dans 12 ans, en passant par des étapes intermédiaires de restriction de la circulation automobile dans les centre-villes en commençant par les véhicules les plus énergivores et à densité de passagers les moins grandes.

2. Construire un réseau de transport en commun urbain, électrifié et d’usage gratuit, qui assure d’ici 2020 au moins dans les grandes villes et leurs banlieues la totalité de la navette au travail et l’accès en tout temps aux centres d’approvisionnement et de loisirs. Assurer dans la période transitoire un réseau de parcs de stationnement incitatifs pour les banlieusards et de voies prioritaires pour le transport en commun.

3. Développer d’ici 2020 un système de transport interurbain collectif, électrifié au maximum et bon marché, complété par un parc public ou communautaire de location d’automobiles hybrides puis électriques qui serait aussi disponible dans les grandes villes et leurs banlieues dans la période de transition.

4. Interdire d’ici 2020 le transport des marchandises par camions à moins qu’ils ne soient à énergie hybride sinon totalement électrique et intégré à un réseau national et public de transport intermodal basé sur le cabotage maritime et le rail.

5. Interdire tout nouveau développement autoroutier dont le prolongement des autoroutes 25 et 50 et la conversion de la rue Notre-Dame en autoroute.

6. Interdire dès maintenant dans les grandes villes et leurs banlieues la construction de logements détachés et même en rangée. En corollaire, interdire tout changement d’usage de terres agricoles et toute destruction des milieux humides et obliger le développement de tout terrain urbain vacant dans le cadre de la planification urbaine publique sous peine d’expropriation.

7. Introduire dès maintenant un code du bâtiment qui rende obligatoire les technologies les plus efficaces de conservation de l’énergie et d’intégration du solaire passif et actif. En corollaire, former tout le personnel concerné aux nouvelles normes et aux nouvelles techniques.

8. Lancer dès maintenant, pour se terminer en 2020 ou avant, un programme de rénovation et d’élévation aux nouvelles normes de tous les bâtiments du Québec, en commençant par les institutions publiques et para-publiques, et sans pénaliser les locataires.

9. Lancer dès maintenant une réforme de l’urbanisme qui assure la mixité des fonctions urbaines de sorte à maximiser les trajets pédestres et cyclistes et celle des relations ville-campagne de sorte à maximiser les marchés agricoles urbains et le jardinage urbain.

10. Développer dès maintenant avec l’accord obligatoire et l’implication en termes d’emplois et de redevances des nations Cri, Innu et Inuit de vastes complexes publics de parcs éoliens articulés aux réservoirs hydrauliques nordiques et de la Basse Côte Nord.

11. Interdire tout nouveau développement hydroélectrique, dont La Romaine et la Rupert, toute recherche d’énergie fossile et tout port méthanier dont Rabaska et Gros Cacouna.

12. Interdire le développement du réseau de gaz naturel sauf comme mesure transitoire en tant que substitut aux produits pétroliers et au charbon et seulement en cycle combiné.

13. Démanteler à court terme la centrale nucléaire de Gentilly.

14. Pour la période de transition, par mesure de sécurité économique, étant donné que le « pic » pétrolier a probablement été atteint ou le sera bientôt, et politique, étant donné la dépendance du Québec, exproprier les raffineries de pétrole — en compensation de la rente — et constituer une réserve pétrolière stratégique et faire des ententes d’État à État avec certains pays producteurs tels le Venezuela.

15. Donner la priorité de la recherche-développement à l’efficacité énergétique et aux énergies renouvelables particulièrement dans le domaine du transport mais aussi du bâtiment, des procédés industriels et de l’agriculture.

16. Transformer à 50% d’ici 2020 l’agriculture industrielle et polluante sur la base de la tendance à la concentration des fermes, de leur endettement envers les banques et de leur sous-traitance par les « intégrateurs », en agriculture biologique de fermes familiales et de fermes et coopératives forestières encadrées par un plan décidé et géré démocratiquement et soutenu financièrement par l’État.

17. Réduire, ré-utiliser et recycler la totalité des déchets industriels et domestiques d’ici 2020 à charge des fabricants de sorte à fermer l’ensemble des sites d’enfouissement et à restaurer les anciens sites industrielles pollués.

Au Québec, la sortie de crise passe par l’indépendance

Le hic de la prise de position d’ATTAC-Québec c’est qu’elle s’adresse uniquement au gouvernement fédéral et qu’elle fait l’impasse de toute stratégie de mobilisation sauf à signer une pétition. Comme ni les partis politiques québécois ni les organisations syndicales et populaires ne sont interpellés, les médias progressistes pro-PQ, l’Aut’Journal, et pro-direction de Québec solidaire, Presse-toi-à-gauche, se sont empressés de publier la nouvelle déclaration d’ATTAC-Québec, ce qui leur permet de se faire une virginité gauche radicale eux qui concrètement soutiennent des partis ou carrément néolibéral ou social-libéral. Mais tant mieux si la position d’ATTAC-Québec permet l’introduction du loup de l’anticapitalisme, vers laquelle elle tend, dans la bergerie du débat politique de la gauche québécoise.

Faut-il rappeler qu’au Québec on fait de la politique québécoise tout en tenant pleinement compte de l’oppression de la nation québécoise par l’État canadien. Il y a maintenant plus d’une génération que le peuple québécois a trouvé la réponse programmatique — l’indépendance — à cette contradiction majeure. Celle-ci est devenue le goulot d’étranglement bloquant toute solution de gauche à toute crise socio-économique et politique de la société québécoise.

Si la lutte pour l’indépendance n’est pas le fer de lance de toute stratégie de sortie de crise pour le prolétariat québécois, alors il faut renoncer à cette lutte. Tel n’est pas le cas. L’indépendance permettra la mise sur pied de la Banque du Québec et l’instauration d’une monnaie québécoise afin d’encadrer l’expropriation des institutions financières, de mettre en place la nouvelle structure de finance populaire et d’implanter un régime d’investissements anti-crise et écologique et une structure de prix favorisant la conservation énergétique, le transport public et l’agriculture biologique.

Un parti de gauche ira chercher l’énergie libératrice enfouie dans l’histoire d’oppression plus que bi-séculaire de la nation québécoise. Il la fusionnera, sans l’instrumentaliser, avec la haine des banques et du patronat que le déploiement de la crise ne manquera pas de susciter. La crise permet de donner à la revendication de l’indépendance sa pleine signification de gauche, non seulement vis-à-vis Ottawa, siège du pouvoir politique fédérale, mais aussi vis-à-vis Bay Street, siège du capital financier canadien.

L’indépendance du Québec est une urgence non seulement politique et nationale mais aussi économique, financière, écologique et sociale. Elle est la revendication-clef pour libérer l’énergie créatrice du peuple québécois afin de contribuer à initier dans la rue une vague de libération nationale et sociale. Cette mobilisation devrait être la base d’états généraux des mouvements populaires pour un Québec indépendant et écologique afin de préparer la prise du pouvoir par la rue et les urnes.

Un tel mot d’ordre serait d’autant plus le bienvenue que beaucoup de syndicalistes de combat, conscients de l’enlisement du mouvement syndical depuis la capitulation sans combat de décembre 2005, souvent membres du SPQ-libre par attachement à la lutte pour l’indépendance et déçus des hésitations de Québec solidaire sur cette question, souhaite ardemment la tenue d’états généraux du mouvement syndical. Faute d’initiative des directions syndicales, à Québec solidaire de prendre le relais.

Il y a urgence pour la gauche politique québécoise, c’est-à-dire pour Québec solidaire, à organiser une campagne pour la tenue de tels états généraux en s’appuyant sur un précédent historique qui a laissé sa marque, soit les « États généraux du Canada français » de novembre 1967 qui se conclurent par « …une orientation vers l’indépendance du Québec. » (J. Lacoursière, J.Provencher et D. Vaugeois, Canada-Québec, synthèse historique, 1978). Voilà un sujet de débat incontournable dans le cadre de la démarche programmatique, dont le thème est justement la question nationale, et pour le prochain Congrès de juin qui prévoit une journée de discussion ouverte sur le sujet.

Mobiliser, encore mobiliser, toujours mobiliser

Encore faut-il que ces débats cessent d’être de simples sessions de parle-parle-jase-jase qui laissent carte blanche à une direction nationale qui s’engonce dans l’électoralisme. Depuis l’élection du député de Mercier qui donne à Québec solidaire assez de crédibilité pour mobiliser sur ses propres bases, la direction de Québec solidaire a raté la mobilisation en appui à la vigile devant le Parlement du militant anti-pauvreté Christian Montmarquette pour une hausse des prestations de l’aide sociale.

Elle a ensuite raté la mobilisation en soutien à la famille Villanueva. Faute d’appui des mouvements syndical et populaire et de Québec solidaire, le gouvernement a profité de la faiblesse de la manif de février non seulement pour ne pas payer d'avocats aux victimes mais aussi pour limiter l'enquête aux faits immédiats.  Québec solidaire n'a pas réagi à cette limitation de mandat, même pas la région de Montréal.  Il ne faut pourtant pas sous-estimer l'importance politique de cette affaire.  Le déploiement de la crise globale du capitalisme ne fait que commencer et elle recèle une possibilité de backlash xénophobe et raciste qui fera paraître l'affaire des « accommodements raisonnables » comme de la petite bière.

Enfin, la direction nationale a réussi à manœuvrer le dernier Conseil national de sorte à reporter, donc à enterrer, la proposition de la circonscription d’Hochelaga-Maisonneuve d’une mobilisation à Québec et à Montréal, si possible conjointement avec le mouvement syndical et populaire, pour notre plan de relance soit lors du discours du budget soit lors de la réponse de notre député à ce discours. Ce triple reniement est en train de cristalliser une politique de reniement du parti de la rue en faveur de la multiplication des effets de discours sous forme de communiqués de presse et d’interventions parlementaires, au mieux d’assemblées publiques.

On ne conteste pas ce mode d’intervention mais en l’absence de mobilisation dans la rue appelée par le parti, c’est le stérile électoralisme qui se consolide. La multiplication des discours à elle seule n’a jamais changé un rapport de forces. Serait-ce rêver que la direction de Québec solidaire non seulement mobilise en grande pour la manifestation du 1^er mai mais que, sous forme de pancartes et surtout d’un tract distribué largement, fasse minimalement connaître les éléments les plus percutants de son plan de relance et même lance l’idée de convoquer des états généraux des mouvements populaires ?

Marc Bonhomme, 22 mars 2009